Faire acte de poésie, c’est la marque « intégriste » de Lombume. Dans le style, le récit, la trame, l’intrigue, les personnages, leurs descriptions, même leurs noms et le dénouement, tout est poésie.
Raconter des histoires à dormir debout à l’invraisemblance inouïe et conserver un peu de crédibilité (pas la crédibilité factuelle, qui s’en préoccupe ? mais la crédibilité du sens et de la cohérence) et donc l’adhésion du lecteur, peut relever de la gageure.
Comment peut-on conter un monde où les crapauds sont des rois, dans un pays où leurs pustules sont des parures et leur croassement des chants sacrés, un monde où ils sont des guerriers redoutables qui ont foutu une raclée aux oiseaux qui sont des géants pour eux, les Jabirus, un pays où les crapauds détiennent le pouvoir sacré de la pluie, un monde où un ancien creuseur de diamant enrichi et puis ruiné Mbere Kete alias Luis Fuga et sa compagne, la prostituée Coca, provoqueront le déluge qui rincera la crasse de cette ville-monde Shasaki, et permettra sa mue et sa nouvelle vie.
La réponse paraît simple en lisant Lombume. Peu importe ce que tu racontes, peu importe les monstruosités que tu décris, les invraisemblances que tu dessines, les personnages incongrus que tu dépeins, les cités merveilleuses ou affreuses que tu imagines, le lecteur reste avec toi tant que tu fais acte de poésie.
Le grand tour de force de l’auteur dans ce roman, comme dans nombre de ses écrits, c’est à chaque fois de nous imposer un monde nouveau, inventé, avec des couleurs inédites, des bruits d’ici mais aux sonorités étranges, des odeurs même, des senteurs extra-ordinaires.
On y retrouve les constances du style lombumien, le feu, le soleil, l’eau, la merde, les couleurs écarlates, les cliquetis des métaux qui s’entrechoquent, les éléments naturels, les sécrétions humaines, tous sont appelés à l’invocation de ce monde à la fois si proche de toute humanité et très étrange, même étranger.
L’autre constance lombumienne c’est son attachement viscéral à sa ville-monde, Kinshasa, cette ville-monstre, ville-enfer, ville-paradis, cette ville dont le ventre grouille de malveillance et de beauté, de malfaisance et d’un peu du paradis que créé l’amour des corps et un peu celui des esprits. On ne s’y trompe guère, même s’il distingue un Shasaki qu’il adore détester et le Kinshasa fantasmé qu’il rêve sortir du déluge provoqué par Luis et Coca.
Lombume c’est également une sorte d’obsession du voyage. Ces personnages sont perpétuellement dans une sorte de pèlerinage, de quête du Graal qui se traduit presque toujours par un périple. Ici il y a le voyage d’Ekrane, Roi déchu des Crapauds, le voyage de Luis Fuga, celui de Coca et de Ndeke Luka, qui finissent tous par converger et se rejoindre dans la quête de la Vie, représentée par l’eau, la pluie purificatrice, et la quête du Soleil, qu’en fait ils ont toujours eu en eux.
Tout aussi lombumien, l’allusion en forme allégorique ici (souvent d’ailleurs) à la politique, à la manière particulière dont la chose collective est gérée menée en terres d’Afrique mais pas que. L’auteur ne cache pas, par des clins d’œil plus ou moins appuyés, sa vaste et profonde connaissance de l’Histoire des peuples et leurs légendes, qu’il réinvente avec maestria. Il en tire des leçons qu’il distille sans grande prétention avec la sagesse sereine que donne la certitude de l’intuition un peu divine des grands auteurs.
« Un grand peuple reste constant dans ses vertus : tolérance, générosité et pardon ! Pardon à tous les nuages qui ont dormi et ne nous ont pas réveillés contre l’éclipse solaire ! » dit-il. « Les foules sont pareilles aux saisons, mais plus proches des saisons de violence dont elles sentent l’affinité avec leurs propres fracas, que proches des saisons d’amour et de pardon. » poursuit-il. S’il prévient que « les Rois vieillissent, au contraire des nuages que le vent rajeunit sans cesse », il met en garde également les peuples : « il ne sied pas à un grand peuple qu’après avoir sacré son Roi de vivats, de myosotis, de chrysanthèmes, de roses, de tournesols, de tulipes, de jacinthes, de nénuphars, et doté son rut de la vigueur colombo, le dénude et le pende » quand bien même, « cigogne, goujats, rois, tout a la consis-tance juste du rêve et de la poussière, … ».
Il ne se contente pas d’appeler à la sagesse et à la mesure, peuples et rois, il prêche aussi, fort d’une spiritualité empreinte d’humanisme et de tolérance, les individus, ces particuliers uniques mais unis à un monde commun dont ils ne sont que les émanations et dont dépendent leur survie et leur équilibre.
Il prêche l’égalité des humains, « nous sommes tous feu, nous sommes tous une chair du Soleil », il croit en la justice et la rétribution, « Tu as donné, et tu recevras. Tu recevras ce qui est à la mesure de ce que tu as donné, multiplié par l’indulgence du ciel ou de la terre, pour t’élever d’un cran », n’écrit-il pas, donnant la parole au sage Ndeke Luka, la vieille cigogne qui a tout vu et tout vécu.
Poète, il chante l’amour, « Mais voici : tout grand rêve, celui de l’amour, ne commence qu’à l’intérieur de soi, dans la terre secrète et féconde du cœur. Pour recevoir de l’amour, il faut d’abord en donner, donc en avoir. Car plus tu donneras, plus tu recevras. Emplis-toi donc d’amour, du mieux que tu peux. Donne comme le soleil. À tous les vivants. », il chante la nuit, « le ventre premier de tout ce qui existe ».
Ce livre est un voyage magnifique dans un monde magnifique, pas toujours féérique, je doute que cet adjectif fasse honneur à la foisonnance, à l’exubérance, à la magnificence débordante et du récit et du style de l’auteur. Justement ces mots définissent à mon avis, le style de l’auteur, dont le vocabulaire très relevé est une autre marque de fabrique. Un style qui n’est pas sans parenté avec des jeunes auteurs congolais ou d’origine congolaise en vogue actuellement, Mwanza Mujila, Sinzo Aanza, Richard Ali. Lombume serait-il une sorte de précurseur ? un avant-gardiste venu trop tôt ? par ailleurs, Lombume qui n’en est pas à un paradoxe près, avec ce style au français soutenu, traduit cependant une véritable sonorité rappelant les langues africaines, les longs phrasés, les répétitions, la force des images.
En tout cas, il y a du plaisir à lire ce roman. Il y a un plaisir esthétique indiscutable, malgré une certaine exigence. En effet, entre les tournures sophistiquées et les mots parfois rares, Lombume ne se lit pas d’un œil distrait. Il exige rigueur et attention. Mais je les lui consens volontiers parce que cette rigueur et cette attention, il en exige d’abord de lui-même.
Je vous souhaite donc de lire ce grand texte de littérature, qui mérite sa place parmi les classiques des Congo et du monde.
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